Le CAHIER des PASSIONS


SÉÏSME en HAÏTI - 12 JANVIER 2010

T é m o i g n a g e s


RÉFÉRENCES :
ASSIFIC - Association des Frères de Ploërmel (56)
FIC - Frères de l'Instruction Chrétienne








TÉMOIGNAGE d'un AMI de JOSEPH : Je suis très attristé suite à l'annonce du décès de Joseph Bergot l'un de mes meilleurs amis durant nos études communes. Nous étions très proches l'un de l'autre aux postulat, noviciat et scolasticat ; il était trés bon et généreux. Je pense à sa famille et à la Congrégation qui perd un frère de grande qualité et un vrai missionnaire. Henri qui pense à toi.




TÉMOIGNAGES provenant d'HAÏTI datant du 15/01/2010 :
« Frères et Sœurs,
Nous sommes encore un peu secoués, trois jours après notre tremblement de terre.
Ce beau 12 janvier ensoleillé, tout le monde vaquait à ces occupations. A Lilavois, au local de la Conférence Épiscopale d'Haïti, nous tenions une rencontre des Conférences religieuses de la Caraïbe, du 12 au 14 janvier : une cinquantaine de participants, avec une invitée spéciale du Brésil, Dra Zilda Arns Neuman, Présidente de la Commission Internationale de Pastorale de l'Enfant. Sa première conférence avait lieu au CIFOR pour les étudiants de ce Centre Inter-Instituts de Formation Religieuse. Y étaient invités les seminaristes et d'autres religieux et religieuses. Le mercredi, elle intervenait devant les membres de la CHR et les delegues des Conférences nationales. La messe d'ouverture présidée par Mgr le Nonce apostolique a été suivie d'une présentation d'Haïti par Père François Kawas. Dans l'après-midi, après une présentation de Cuba, nous faisions la pause.
1. J'étais sur la pelouse parlant au Frère Ernst. Quelques minutes plus tard, la terre s'est mise à trembler avec un grondement furieux. Au local de la Conférence Épiscopale, peu de dégâts ; une seule religieuse américaine s'est fracturée le bras quand une autre est tombée sur elle. Mais bientôt, des cris sont arrivés du voisinage. La cour du Centre de Santé des Sœurs Dominicaines de la Présentation est envahie de blessés plus ou moins graves. Les Sœurs décident de conduire les plus graves à des hôpitaux. Commence alors une vraie course au trésor. Hôpitaux saturés ou dépourvus de matériel ou d'électricité … Routes de jonction entre Delmas et Bourdon coupées. A 21 heures, Nous décidons de retourner à Lilavois avec les malades. Sœur Solange Louine, Provinciale des Sœurs de la Charité de St-Louis, choisit de rentrer à pied, voir ses Sœurs à Bourdon.
2. Depuis les secousses, j'ai cherché aussi les nouvelles des Frères. Premières inquiétudes : Frère Ernst à qui j'ai parlé juste avant, ne répond plus … Du coté du Juvénat, FF Geniaud, Jean-Claude, Valmyr, … pas de communication ! Finalement un cri de F. Jean-Claude : plus de maison provinciale et le F. Joseph Bergot serait mort. Rectification de F. Simon peu après : F. Joseph Bergot est vivant : il répond au téléphone, mais il est prisonnier. Frère Dominique venait de rentrer… plus de nouvelles.
3. De la rue Centre, F. Hubert informe que les bâtiments de la rue du Centre et de la Grand'rue se sont effondrés ; tout le monde va bien, mais, on n'a pas encore revu F. Ernst… Vers 19 h, soulagement : Il est rentré ! il a vu s'effondrer les dépendances et le dernier étage de l'école Jean-Marie Guilloux : Bilan : 6 morts. Frère Hubert avait oublié de noter que l'École Normale de St-Louis travaillait encore à l'heure du séisme : étudiants et professeurs sont dans les décombres !
4. Fr. Yves annonce que la résidence de Jacmel n'est plus habitable. La Vallée a été moins secouée, mais la maison fait peur. A St-Marc, on a senti le tremblement, mais aucune peur ! Du Nord, pas de nouvelles ! Pas de panique non plus. En passant a Delmas, je vois les refugiés et les bâtiments inhabitables ou bien abîmés.
5. Les mauvaises nouvelles allaient se succéder : Au CIFOR : Catastrophe ! dit le P. William Smarth. La Conférence venait de se terminer, les étudiants commençaient à partir… et les dalles à s'écrouler. Le Père a été blessé, la Dra Zilda et un bon nombre d'étudiants ont disparu sous les dalles ! La voiture du Frère Provincial qui a été utilisée pour le déplacement de Lilavois au CIFOR a été aplatie avec les fourgonnettes des Pères Monfortains, Oblats et Camiliens…
6. A Martial, tout est atteint : chapelle, résidence, école,
7. Ayant déposé mes malades à Lilavois, je suis allé constater les dégâts. A La Mennais, cela dépasse largement ce que je pensais. Au Juvénat et au Noviciat, des fissures parfois importantes. Les cours se sont transformées en campements pour les Frères et les voisins.
8. Cap sur la Rue du Centre, en compagnie de F. Valmyr. En route, un arrêt au CIFOR. A 2h a m, des étudiants impuissants nous disent que certains de leurs camarades appellent au secours, mais ils ne peuvent rien faire. Effectivement un cri blesse la nuit et le cœur, puis le silence reprend son droit. Accéder à la rue du Centre, une course d'obstacles ! A deux reprises, nous acceptons un crochet pour l'hôpital général. Parvenus au portail de la Grand'rue, nous sommes reçus par des jeunes qui s'activent pour dégager les victimes de l'École Normale, mais d'autres sont moins bien intentionnés. Un p'tit tour des lieux avec les quatre Frères qui veillent : presque tout serait à démolir.
9. En remontant à Pétion-Ville, à 6 h 00 am, je demande de l'aide à l'ambassade de France à la rue Capois pour libérer les Frères Joseph Bergot et Dominique : l'officier français prend note et nous dit prioritaires à l'arrivée des secours. Trois jours plus tard…. ? Frère Enceau et son équipe de postulants-centristes ont fini par dégager le Frère Joseph Bergot et le conduire, par monts et par vaux, à l'hôpital du Canapé-vert, mercredi matin. Il y succombait quelques heures plus tard, à 11 h 30. Il a été inhumé dans notre nécropole des le jeudi matin, après une prière de quelques Frères et réfugiés. Le Père Jehannin a fait le déplacement, même en retard, pour une dernière bénédiction.
10. Entre ses pirouettes pour dégager Frère Joseph, Frère Enceau a réussi à déposer les FF Rancourt et Fernand Doyon à l'ambassade du Canada qui les a bien reçu et pris en charge leur rapatriement. Je suppose que nos Québecois sont maintenant à La Prairie.
11. Au cours de cette visite matinale, nous constatons l'écroulement ou le mauvais état du collège des Filles de la Sagesse, du local de la CHR, du Collège des Sœurs de St-Francois d'Assise et de diverses autres écoles et collèges. Nous apprenons ce que nous constaterons, ce vendredi, l'écroulement de l'école St-Jean-l'Evangile et du collège Canado-Haitien, la dévastation de la résidence et de l'école des Filles de Marie au Bel-Air : beaucoup de victimes parmi les Sœurs. (Il restera à dresser les annales de ce 12 janvier pour les Religieux-ses : lourd bilan!)
12. Pour compliquer la situation, les bandits ont repris du service. Et la partie est belle, avec toutes les maisons abandonnées et les rues désertes. Les bandes de jeunes <> qui sillonnent les rues de Port-au-Prince et Pétion-Ville n'inspirent guère confiance ! La voiture de la CHR a ainsi été volée aux FF. Dufreine et Jean-Claude, par 5 jeunes armés, apparemment des professionnels. Au campement du Juvénat, l'ambiance est bonne, malgré quelques visages louches. Il nous reste à trouver un nouveau rythme de sinistrés. Nous apprécions grandement la présence de Lucie, Sœur de Frère Jacques Matte qui était venue visiter son Frère. En bonne infirmière, elle ne chôme pas. Hier, nous avons eu la visite de la Croix Rouge… En attendant que les sans-abris trouvent des solutions, il faudra organiser cette nouvelle communauté de pauvres appauvris encore plus par le séisme.
Depuis mercredi, les communications téléphoniques sont très difficiles à Port-au-Prince.
Notre-Dame du Perpétuel Secours ne manquera pas de venir à notre aide, même si elle nous a paru bien absente au moment où la terre suivait son mouvement d'ajustement géologique, combien dérangeant et mortel pour ses enfants.
Le Seigneur vient ! Il est présent ! Il est avec nous, surtout en ces jours, qui, pour certains, ont été les derniers. »
Frère Dufreine Auguste.

J'ajoute quelques mots du Frère Simon Alphonse, Maître des novices, qui nous parviennent par l'intermédiaire du Frère Charles : « La nuit dernière la terre a encore tremblé et ce matin entre 4h30 et 5h00 j'ai été réveillé pour une violente secousse. Nous nous préparons à vivre notre quatrième nuit à la belle étoile pour la plupart, sous les tentes pour certains.
N.B. Une centaine de voisins ont trouvé refuge sur la petite pelouse non loin de la cuisine du Noviciat depuis mardi. Les novices sont actuellement en famille en lieux sûrs avant de quitter la capitale la semaine pour continuer l'expérience du Noviciat ailleurs, probablement dans le Sud-Est. Merci de vos prières »
Frère Simon.




TÉMOIGNAGE provenant d'HAÏTI datant du 20/01/2010 :

"Bonjour à tous les amis
Voici presque une semaine que la catastrophe est arrivée. Pendant tous ces jours, j'ai été quasiment scotché au téléphone et à l'ordinateur pour recueillir et distribuer informations aux Frères, aux parents, aux amis. Les appels sont venus de partout pour des recherches. Merci à tous ceux qui m'ont aidé…ou sollicité.
J'ai pu me rendre à la capitale samedi passé.
A partir de Petit-Goave commencent les difficultés et les émotions fortes. Difficultés de la route envahie par des éboulis à plusieurs endroits, affaissée parfois, fissurée souvent. Émotions devant toutes ses maisons écroulées, cette foule de gens vivant sous des abris de fortune (une bâche la plupart du temps). Plus on se rapproche de Port-au-Prince, plus augmentent les détresses. Et aussi la crainte car les « chimères » ont repris du service. Si les « pillages » sont le fait des pauvres gens affamés que l'on comprend fort bien, d'autres sont de véritables racketteurs et gangsters (échappés probablement de la prison centrale écroulée) qui rançonnent, volent et menacent avec des armes. Dieu merci, je n'en ai pas rencontré, mais sur le conseil des Frères j'ai contourné le centre-ville pour me rendre directement au Juvénat. La traversée de Carrefour est fort pénible car les rues sont souvent bloquées : la route principale est devenue en partie un hôpital à ciel ouvert, les rues adjacentes sont coupées par les maisons éboulées. Il nous faudra deux bonnes heures pour parvenir à Pétionville.
Je suis passé près de la maison La Mennais dont la chute a provoqué la mort de notre si cher Fr. Joseph Bergot (j'ai vécu 23 ans avec lui – et je l'appelais deux ou trois par semaine pour des commissions ou des conseils techniques). La maison n'est plus qu'un tas de gravats. Sous les décombres gît toujours Fr. Dominique assurément mort maintenant.
J'arrive au noviciat et au juvénat. La maison du Noviciat elle-même a souffert : beaucoup de murs écroulés. Au Juvénat, des fissures aussi et un bâtiment incertain. Tout le quartier s'est réfugié sur la propriété. Les Frères se dévouent pour accueillir, organiser toute cette population de quelques centaines dans la journée, mais qui peut facilement doubler ou tripler pour la nuit. Ces gens ont tout perdu, leur maison est écroulée, il est imprudent de rester près des murs fissurés. En effet les secousses continuent : j'aurai droit à une bonne réplique de magnitude 5 lors de mon passage. Alors tout le monde campe sur les terrains, y compris les Frères. Heureusement, les gens cherchent eux-mêmes à s'organiser, à s'entr'aider. L'ambiance est très fraternelle. Mais il faut espérer que cette situation improvisée ne se prolonge pas trop : il faudra passer très vite à un autre fonctionnement, vu que la situation risque de durer plusieurs mois.
Vers midi, je descends à Delmas. J'y trouve les Frères installés eux aussi sous des tentes. La cour et les terrains sont envahis par une foule de gens du quartier. Ici aussi tout se passe bien : les distributions se font dans le calme, même s'il y a des racketteurs. Les Frères sont très présents : je les sens fatigués et marqués par tous ces événements. Je propose au plus âgé de venir aux Cayes pour le reste de l'année et aux autres de prendre de temps en temps quelques jours à l'écart chez nous pour se reposer et se déconnecter d'une réalité difficilement soutenable. Les jeunes du MEJ du quartier servent souvent de relais entre la communauté et toutes les personnes qui se présentent aussi bien pour demander que pour proposer de l'aide. Une grande solidarité se fait jour, portée dans la prière. Quelques Missionnaires de la Charité sont là aussi pour apporter leur concours. De temps en temps flotte une odeur de mort : un camion chargé de cadavres qui passent; c'est une odeur qui nous poursuit partout en traversant la capitale. Je n'ai guère eu le temps de faire le tour de la propriété : la plupart des bâtiments ont beaucoup souffert et seront à reconstruire. J'ai demandé à un jeune Frère de prendre des photos des bâtiments saccagés. Je les mettrai en ligne demain mardi si possible.
Pour le retour, nous rentrons avec une dizaine de personnes. Nous sommes déroutés plusieurs fois à cause des files de voitures qui s'alignent devant les stations-service, des routes bloquées par les éboulis de maisons. Nous n'avons pas pu passer à Saint-Louis, rue du Centre : là aussi les Frères dorment dans la cour. Les deux bâtiments principaux sont effondrés mais on me dit que les bureaux n'ont pas été écrasés par la chute des étages. C'est le lieu où nous avons eu le plus de morts : une école normale du soir fonctionnait à un étage au moment du séisme. Tous y sont restés. Puis nous retrouvons le calme des Cayes. Impression de changer complètement de pays. Mais vite dissipée. Car les blessés affluent maintenant de la capitale. L'hôpital est débordé. Un terrain de foot est réquisitionné. Et la population de Port-au-Prince commence à émigrer en province. Tous les étudiants rentrent chez eux : ils n'auront pas de cours pendant des mois…
Les jours qui viennent s'annoncent difficiles. Il faut se préparer à de nombreuses pénuries (nourriture, essence), des augmentations de prix, la difficulté à recevoir de l'argent de la diaspora, l'absence de salaires pour tous les employés de l'État, le chômage de tous ceux qui viennent de la capitale, les enfants venus de la capitale déscolarisés pendant des mois, sans compter les possibles racketteurs et gangsters. Il reste la volonté de se battre, la solidarité des gens de bonne volonté (heureusement c'est la majorité), l'effort de tous ici et ailleurs, et la confiance en Dieu…
A tous je dis un grand merci pour votre intérêt pour notre petit pays, pauvre mais courageux et pour la confiance que vous nous faites. Que Dieu vos bénisse !
Bien amicalement"
Frère Charles